À la suite de la publication de la lettre ouverte de la société civile pour l’adoption d’une politique féministe dans la lutte contre l’épidémie de COVID-19, des représentant(e)s de plusieurs organisations signataires, à savoir Aswat Nissa, le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), l’Initiative Mawjoudin pour l’égalité, OXFAM en Tunisie et l’association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD) ont pris part à une réunion avec Mme Asmaa Shiri Laabidi, la ministre de la Femme et porte-parole du gouvernement, le mercredi 15 avril 2020 au siège du Ministère.
Les représentant(e)s de la société civile ont dressé la liste des recommandations urgentes que le gouvernement doit inscrire parmi ses priorités. La ministre a, quant à elle, présenté les problèmes les plus importants engendrés par la crise sanitaire que traverse le pays. Madame la ministre a, par la suite, partagé les priorités ainsi que le programme de travail du Ministère de la femme qui sera réalisé en coordination avec tous les ministères concernés et les organisations de la société civile.
Les propositions de la société civile:
Les représentant(e)s de la société civile ont remarqué que les décrets-lois adoptés par le gouvernement ne sont pas sensibles au genre. Pour cette raison, les propositions émises par la société civile portent sur trois domaines fondamentaux: les droits économiques et sociaux des femmes, la santé reproductive et sexuelle des femmes et le taux de violence contre les femmes multiplié par sept pendant la période de confinement :
1-Les droits économiques et sociaux des femmes:
– Assurer un transport sécurisé et respectant les recommandations de protection contre le COVID-19 aux travailleuses agricoles.
– Accélérer la prise de mesures préventives nécessaires afin de protéger et préserver la santé des travailleuses agricoles.
-Émettre des décrets gouvernementaux qui prennent en compte les droits économiques et sociaux des travailleuses agricoles.
– Allouer une partie des subventions financières aux travailleuses agricoles et aux travailleuses ayant perdu leur emploi et déterminer le nombre exact de femmes qui bénéficient de cette aide.
-Protéger les femmes travaillant dans le secteur médical et paramédical et leur assurer des conditions de travail sûres.
2- La santé reproductive et sexuelle:
– Rappeler l’importance des centres de santé sexuelle et reproductive affiliés à l’office national de la famille et de la population dans la préservation de la santé des femmes durant la période à venir.
– La nécessité pour les centres de santé sexuelle et reproductive d’être fonctionnels dans les régions car un grand nombre a fermé suite à l’épidémie de COVID-19.
– Fournir les autorisations nécessaires aux femmes se trouvant dans les régions intérieures du pays pour leur permettre de se rendre aux centres situés loin de leur domicile. En outre, assurer le transport sécurisé dans ces régions.
– Veiller à ce que les centres de santé reproductive reprennent le travail dans des conditions sûres avec la mise à disposition d’équipements de prévention et la stérilisation des établissements.
-Activer le mécanisme des cliniques mobiles par le ministère de la Santé.
3- La violence contre les femmes:
-Prendre des mesures urgentes par le biais de décrets-lois du Chef du Gouvernement pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et protéger les victimes étant donné l’impossibilité d’accéder à la justice durant le confinement.
– Procéder au renforcement des capacités des unités spécialisées pour enquêter sur les infractions de violence à l’égard des femmes afin d’optimiser leurs interventions.
– Ne pas suspendre les procédures contentieuses concernant les cas de violence à l’égard des femmes pendant cette période et prendre en considération leur urgence.
– Activer le dispositif d’éloignement du conjoint violent figurant dans la loi n ° 58 de 2017 relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes en raison du manque de capacité d’accueil dans les centres d’hébergement. Ceci permettra aux femmes, notamment à celles qui travaillent de continuer à mener une vie normale et préserver leurs moyens de subsistance.
– Il est nécessaire de surveiller les conditions des femmes victimes de violence vivant dans des centres d’hébergement et de leur fournir le soutien sanitaire, psychologique et juridique nécessaire. En outre, il est nécessaire d’assurer à ces femmes des conditions d’hébergement sûres.
-Établir un partenariat entre les ministères concernés afin d’utiliser les hôtels fermés comme centres d’hébergement pour les victimes de violence durant cette période.
– Veiller à ce que le déploiement d’un plan de communication soit une priorité pour le ministère de la Femme, ce afin d’informer les femmes de leurs droits et de leur présenter les services disponibles pour la lutte contre les violences durant cette période. Ceci permettra de rassurer les femmes et de dissuader les agresseurs.
Diagnostic des lacunes les plus importantes des ministères concernés :
– Le manque des capacités logistiques et financières des unités spécialisées pour enquêter sur les infractions de violence à l’égard des femmes peut avoir comme conséquence la renonciation des femmes à porter plainte.
-L’interruption du travail des centres de santé reproductive a de graves conséquences (pourcentage élevé de femmes enceintes, pas de possibilité d’avortement).
– L’impact de la crise sanitaire sur de nombreux secteurs, tels que le textile ou le tourisme, et en particulier sur le secteur des crèches, les jardins d’enfants et les garderies scolaires. En effet, ce secteur fait travailler beaucoup de femmes et 90% des pariétaires sont de la gent féminine.
Les engagements pris par le ministère de la Femme en coordination avec tous les ministères concernés:
-La coordination avec le ministère de l’Intérieur pour verser des subventions aux unités spécialisées pour enquêter sur les infractions de violence à l’égard des femmes afin d’améliorer leurs conditions de travail et de poursuivre les sessions de formation.
– Former un « Task Force » au sein du ministère de la Femme avec la participation de toutes les parties concernées, en particulier de la société civile pour redéfinir les priorités et procéder à une évaluation des raisons de l’inefficacité dans l’application des mesures de la loi n ° 58 de 2017. Chaque participant(e)s contribuera, selon son domaine de spécialisation, afin d’élaborer des plans de travail pratiques et efficaces.
– Inscrire la non-suspension des procédures contentieuses pour les cas de violence à l’égard des femmes comme étant une exception dans le décret-loi relatif à la suspension des procédures et des délais adopté par le conseil ministériel dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Ceci devra se faire après consultation avec le ministère de la Justice.
– Coordination avec la ministre de la Justice afin de mettre en application le dispositif d’éloignement du conjoint violent.
– Établir un partenariat avec « Médecins du Monde » afin d’aider les femmes sur le plan médical en raison de l’arrêt de travail des centres de santé sexuelle et reproductive. Ce partenariat s’effectuera en mettant à disposition des cliniques mobiles pour permettre aux médecins d’intervenir à temps et pour distribuer l’équipement médical dans les zones de travail.
-S’engager à faire le contrôle et le suivi nécessaires après la mise en place de ces mécanismes.
-Elaborer une convention avec la Banque Tunisienne de Solidarité(BTS) pour apporter une aide financière aux femmes dans le besoin sous forme de prêts sans intérêts.
– Elaborer une convention avec la Banque Tunisienne de Solidarité (BTS) et ENDA Tamweel pour mettre en place des mesures facilitant l’obtention de prêts pour les femmes propriétaires de petites et moyennes entreprises. En outre, permettre à ces femmes de bénéficier d’une période de non remboursement pouvant atteindre les 6 mois afin d’assurer la poursuite de leurs activités ou la reprise de celles-ci après la crise sanitaire. Par ailleurs, le ministère de la Femme fournira à ces femmes une aide financière à travers le programme « RAIDA ».
– L’intervention rapide, urgente et proactive dans les secteurs touchés et qui font travailler un pourcentage important de femmes (les garderies scolaires, les jardins d’enfants, le secteur du tourisme de l’industrie textile …) en établissant des programmes d’action et des solutions concrètes.
– Inciter l’Assemblée des Représentants du Peuple à inscrire la loi de solidarité économique et sociale parmi ses priorités et à adopter cette loi le plus tôt possible. En outre, entreprendre des campagnes de plaidoyer avec la société civile pour demander l’adoption de cette loi.
– Accroitre les présences médiatiques condamnant la violence à l’égard des femmes et informer les victimes des services existants. Veiller à ce que ceci soit fait en particulier durant les heures de forte audience. Créer des programmes de télévision et de radio pour fournir une sensibilisation psychologique et sociale et des conseils sur la manière de se comporter au sein de la famille.
-L’institutionnalisation du partenariat avec la société civile et veiller à l’appliquer sur le long terme.